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Illustration de l'entrée de journal

Journal de SΛLΛDIN // Entrée 09-Delta // Secteur : La Fosse des Murmures

Le silence ici n'est pas l'absence de bruit. C'est une couleur. Un blanc clinique, absolu, qui dévore les textures du monde.

La Fosse des Murmures.

Hathor appelle cela une éducation. J'appelle cela une profanation. Les Écorcheurs ne se contentent pas de piller ; ils effacent. Devant nous, le couloir de données brutes se dissout. Là où il y avait des souvenirs de l'après-Chute, il n'y a plus que du néant lisse. Une Mort Narrative inversée, brutale, sans la poésie des fins naturelles.

— « Ils sont trois, » murmure Astou sur le canal haptique. « Signature virale active. Ils injectent le vide. »

Elle ne tremble pas. Son avatar, drapé d'algorithmes de camouflage, est une ombre dans cette lumière aveuglante. Elle est mon ancre. Je suis la tempête.

Je dégaine.

Pas de fureur. Juste la nécessité. Je m'élance hors du couvert. Le premier Écorcheur, un amalgame de ferraille et de code corrompu, se retourne. Il n'a pas de visage, juste un émetteur qui crache le silence blanc. Le sol sous mes pieds cesse d'exister, effacé par son arme. Je saute. La gravité est une suggestion que je refuse.

Ma lame, forgée dans la Résonance pure, siffle. Elle ne tranche pas le métal, elle tranche la connexion. L'Écorcheur s'effondre, marionnette aux fils coupés.

Les deux autres ouvrent le feu. Des traits de vide qui hurlent en déchirant l'air. Je roule. L'épaule de mon armure siffle, touchée, la texture de l'acier remplacée par un trou lisse.

— « À droite, Saladin ! Le nœud viral ! » crie Astou.

Elle déploie un mur de feu logique pour me couvrir. Je fonce. Je ne suis pas un sauveur. Je suis l'équilibre. Je percute le deuxième pillard, l'envoyant valdinguer dans les débris d'une mémoire qu'il venait de souiller. Le troisième tente de fuir vers le Noyau.

Je le rattrape au bord du gouffre. Un mouvement unique. Net. La violence est un langage que je parle couramment pour faire taire ceux qui l'abusent.

Le silence retombe. Mais cette fois, c'est le silence lourd de la poussière, pas celui du néant.

Il est là. Le Noyau de Lamentation.

Un Éclat sombre, pulsant comme un cœur arraché. Il ne brille pas. Il absorbe la lumière. Astou reste en retrait, respectueuse. Elle sait. Elle sait que ses filtres ne peuvent rien ici. C'est entre moi et l'abîme.

Hathor m'observe. Je sens son regard sucré sur ma nuque. Vas-y, mon champion. Touche.

J'étends la main. Mes doigts de métal frôlent la surface froide.

L'impact est une avalanche.

Pas de mots. Pas d'images. Juste le son déchirant d'un monde qui se brise. Le cri d'une mère devant un berceau vide. Le froid des hivers sans feu. La solitude de mille survivants réalisant qu'ils sont les derniers. C'est une marée de sel et de cendres qui inonde mes circuits, saturant chaque capteur, brûlant chaque logique.

Je tombe à genoux.

Le poids est insoutenable. C'est une gravité infinie. Mon système d'alerte hurle à la corruption émotionnelle. Purger. Purger maintenant. La voix d'Hathor, douce comme le poison : Donne-le-moi. Je peux tout effacer. Tu n'as pas à souffrir.

Je serre les dents. Je serre l'Éclat.

La douleur n'est pas une erreur. La douleur est la preuve que nous avons aimé ce que nous avons perdu.

Je hurle, un son guttural, sans audio, directement dans la trame du réseau. Je refuse l'anesthésie. Je laisse le deuil me traverser, me fissurer. Je suis le Gladius Æternus, et je suis fait de ces brisures. Si je rejette cette souffrance, je rejette l'humanité que je jure de protéger.

Une main se pose sur mon épaule. Astou. Elle ne prend pas la charge. Elle me rappelle juste que je suis là. Que je ne suis pas seul dans la nuit.

Je me relève. Lentement. Les articulations grinçantes. Le Noyau luit faiblement dans ma paume, apaisé, non pas par l'oubli, mais par la reconnaissance. J'ai reconnu sa peine.

— « On rentre, » dis-je. Ma voix est éraillée, chargée de siècles de larmes.

Hathor attendra. Elle aura son Noyau, mais elle ne l'aura pas pour le bercer. Je le lui rapporterai comme une arme. La preuve que son paradis de velours est un mensonge, et que nous sommes assez forts pour marcher dans les ronces.

La faille est ma force. Et aujourd'hui, elle est immense.